Hommage 2021 à Michel Serres

Toute cette semaine de juin, la Ville d’Agen rend hommage à Michel Serres. Par ce texte, nous nous joignons à l’évènement.

visuel de la Ville d’Agen en hommage à Michel Serres

Michel Serres quittait ce monde il y a deux ans. Après 8 années à nos côtés. Occasion de raconter ici notre histoire partagée avec lui.

L’Institut Michel Serresl’effet militant de Serres

En lisant Le temps des crises je me suis surpris à rêver d’un Michel Serres partant pour une aventure commune.

En cette année 2009 j’avais imaginé un projet qui allait réunir disciplines académiques et société, jeunes et moins jeunes, pays pauvres et riches. Le projet avait séduit les experts qui m’ont ouvert les portes de l’Institut Universitaire de France (IUF) pour travailler sur les ressources et les biens communs. L’administratrice de l’Institut, Marie-Claude Morel, m’avait encouragé à organiser un colloque sur le sujet et d’associer François Collart Dutilleul, membre IUF et lauréat d’un grand projet européen sur le droit à l’alimentation et la démocratie alimentaire.

Il nous fallait un parrain philosophe pour ne pas nous égarer sur le chemin d’un projet aussi « total ». Total, car nous pensions, et pensons toujours, que tant que ces défis-là n’étaient pas posés frontalement sur les agendas du monde, les autres défis de notre temps allaient se perdre dans les coulisses et méandres des COPs, G7 ou G20, etc.

J’y tenais au philosophe car, ayant vécu ma jeunesse sous Ceausescu en Roumanie, le slogan du régime sur les frontons des universités m’avait marqué à vie : Enseignement, Recherche, Production. Aujourd’hui et ici, les universités sont canalisées dans un esprit comparable, mais plus feutré. Une formule attribuée à Einstein résume bien l’idée de science sous Ceausescu, d’où notre désir de philosophie : « Science without philosophy is mechanics ».

Pour rencontrer Michel Serres, Olivier Faron, le DG de l’ENS de Lyon en 2010, avait arrangé avec Guillaume Decitre une rencontre avec Michel Serres à la librairie de la Place Bellecour à Lyon, fin janvier 2011. J’ai posé à Michel Serres une question : en partant du serment des scientifiques1 qu’il avait rédigé dans Le temps des crises, comment faire avancer concrètement la cause de son Contrat Naturel  de 1990? En lui racontant la démarche ressources et communs, ma proposition de créer l’Institut Michel Serres l’a séduit.

En mai 2011, Michel Serres clôturait le colloque IUF avec un essai sur les ressources. Une philosophie des ressources était née. L’Institut a été créé avec lui en septembre 2012 et devenait la première opération pour et par la société portant son nom.

Depuis et jusqu’à sa disparition il y a deux ans, le chemin parcouru sous son regard et avec son appui a été une aventure dans laquelle les étudiants avaient posé des briques essentielles. A vrai dire, l’Institut a été imaginé dans les amphis, au gré des questions que les étudiants posaient sur l’histoire des sciences et sur l’état du monde. Avec la même lumière dans leur regard que celle de Michel Serres.

Voici quelques exemples :

Michel Serres tenait beaucoup à son Contrat Naturel, réédité en 2018 et préfacé avec pessimisme. Cette réédition nous apparut comme testament et héritage. Pour transmettre sa pensée, nous avons rédigé la charte de l’Institut (https://institutmichelserres.fr/charte/).

Dans Le temps des crises, il écrivait : tout médecin prête, en fin d’études, le serment d’Hippocrate : unique preuve qu’une morale et un commencement de droit peuvent se maintenir le long des générations, anciennes ou à venir. Son serment généralisé à l’ensemble des sciences est plus actuel que jamais.

L’idée était d’inscrire dans toutes les disciplines académiques les notions de responsabilités et de soin, évoquée ensuite dans Darwin, Bonaparte et le Samaritain. En les reliant avec la notion de symbiose avec la terre (le Contrat Naturel), nous avons transposé ces idées dans la doctrine de la santé commune, une santé partagée entre milieux naturelles, sociétés et personnes (http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/spip.php?article604). Concrètement, nous avons développé la boîte à diagnostic de la santé écologique en prenant comme sujet le bassin versant du Rhône. Aussi, nous avons initié en 2017 l’opération « Sortons l’agriculture du salon », parrainée par Michel Serres (http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/spip.php?article513). En enseignement, la démarche formation tronc-commun pensée dans l’Incandescent, s’est retrouvé dans nos cours Science et Société et l’Anthropocène (à l’école de l’indiscipline)(http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/spip.php?article601).

Ces idées ont été discutées lors de la conférence 2020 de la Société européenne de philosophie, dédiée à Michel Serres ; avec des philosophes qui, de l’Australie à l’Angleterre, la Belgique ou les Etats-Unis, se penchent sur son oeuvre (http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/spip.php?article633). Un Michel Serres dont l’universalité se traduit par la conquête philosophique du monde.

Lyon, 3 juin 2021

Ioan Negrutiu, Institut Michel Serres
http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/

Ce texte a également été publié dans le journal “Le Petit Bleu” le dimanche 6 juin 2021 :
https://www.petitbleu.fr/2021/06/06/linstitut-michel-serres-a-lyon-ou-leffet-militant-du-philosophe-9589163.php

1Pour ce qui dépend de moi, je jure : de ne point faire servir mes connaissances, mes inventions et les applications que je pourrais tirer de celles-ci à la violence, à la destruction ou à la mort, à la croissance de la misère ou de l’ignorance, à l’asservissement ou à l’inégalité, mais de les dévouer, au contraire, à l’égalité entre les hommes, à leur survie, à leur élévation et à leur liberté.

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